HISTOIRE ET DATATION INTERPRETATIVE DU MANUSCRIT

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Le manuscrit VOYNICH porte le nom de celui qui au début du XXe siècle a découvert le manuscrit et son intérêt, et non pas celui qui l’a rédigé.

De nombreuses études, presque unanimes ont accordé la paternité du manuscrit à l’anglais Roger Bacon (1214-1292). Il écrit dans « lettre sur le travail secret de la nature et l’incapacité de la magie » : « ne serait pas sain d’esprit l’homme qui écrirait un secret d’une toute autre façon que celle qui la dissimulerait du vulgaire et la rendrait intelligible seulement avec difficulté même aux scientifiques et aux étudiants consciencieux ». Cela est possible, mais ce n'est pas notre hypothèse. L'esprit cultivé de Bacon l'aurait certainement amené à chiffrer un texte certes, mais aussi à pouvoir le déchiffrer. Nous n'avons pas de lui d'élements attestant qu'il était versé dans des recettes alchimiques (nymphes, pharmacopée, plantes, astrologie, recette). N'oublions pas pour mettre en perspective deux époques, la sienne et la nôtre, que l'alchimie était pratique courante, ainsi que les pratiques assimilées à la magie, et non forcément comme de nos jours assimilées à des pratiques et rites mystérieux, troubles, d'initiés un peu marginaux.

Nous verrons dans le chapitre suivant dans quel contexte historique s’inscrivit la rédaction de ce manuscrit, dans un rapport étroit mais ambigu avec l’alchimie, la kabbale, la religion, la diffusion plus importante des textes avec des moines copistes plus fervents.

En 1639, après un saut historique significatif dans lequel nous n’avons pas d’information, le praguois Georg Baresch écrivit au réputé jésuite et scientifique Athanasius Kircher qu’il détenait un livre mystérieux qui était écrit dans une écriture inconnue et abondamment illustré avec des dessins de plantes, d’étoiles, de secrets alchimiques. Baresch pensait que A. Kircher pourrait déchiffrer ce manuscrit grâce à son expérience reconnue de « briseur de codes ». Le livre nous est parvenu, après plus de 360 ans, sans qu’un seul mot des 235 pages ait été compris. Baresch n ‘était pas le premier attendre, en vain, la lecture du manuscrit.

Avant lui, plusieurs scientifiques que l’empereur du Saint Empire Romain germanique, Rodolphe II (1552-1612) avait fait venir à sa cour l’ont eu aussi dans leur main pour essayer, de même, de traduire les pages mystérieuses. On ne sait comment, le manuscrit passa dans les mains de Jacobus de Tepenecz, le directeur des jardins botaniques de l’Empereur. Sa signature figure sur le premier feuillet du manuscrit.

Le docteur et scientifique praguois, recteur de l’Université de Prague, Johannes Marcus Marci a été un correspondant fidèle d’A. Kircher durant 25 ans. Peu avant sa mort, il envoie à A. Kircher son manuscrit qui lui explique l’avoir hérité d’un ami proche qui avait essayé de le traduire presque tout au long de sa vie.

La lettre de Johannes Marcus Marci, du 19 août 1665 (ou 1666) à Kircher indique dans un paragraphe :

« Ce livre que m’a légué un ami intime, je vous le destine, mon très cher Athanasius, aussitôt qu’il est venu en ma possession, car je suis convaincu qu’il ne peut être lu par personne d’autre que vous . Le précédent détenteur de ce livre voulait vous demander votre opinion par lettre, en vous copiant et vous envoyant une partie du livre duquel vous auriez pu lire ensuite le reste, mais il a refusé à ce jour d’envoyer le livre lui-même.
Pour son déchiffrement il devolut un labeur soutenu, comme est apparent de la tentative que je vous envoie présentement, et il abandonna l’espoir de trouver durant sa vie. Mais son labeur aura été vain, tel le Sphinx qui n’obeirait qu’à ses maîtres, Kircher.
Acceptez maintenant cette marque de témoignage , telle qu’elle est et malgré une longue attente, de mon affection pour vous, et percez ses obstacles, s’il y en a, avec votre succès habituel.
Dr Raphaël, précepteur de langue de Ferdinand III, alors Roi de Bohème, m’a dit que le livre évoqué a appartenu à l’empereur Rodolphe et qui offra au titulaire du livre 600 ducats. Il croyait que l’auteur était Roger Bacon, l’anglais. Sur ce point, je suspends mon jugement. C’est votre rôle de définir pour nous quelle vue nous prendrons sur le sujet, vers qui par grâce et bonté je me confie sans réserve, et restant aux ordres de votre révérence
 »

Marci demande alors dans sa lettre également l’aide de Kircher, et décrit aussi comment à l’origine ce manuscrit avait été acheté par l’empereur Rodolphe II pour 600 ducats (ce qui représenterait environ un million d'euros actuel).
Celui-ci croyait également que le manuscrit fut écrit par Roger Bacon.

En 1912, Wilfrid M. Voynich, un collectionneur de livres new yorkais, acheta un manuscrit médiéval écrit dans une écriture inconnue. W. Voynich visitait souvent l’Europe à la recherche de livres rares et anciens. Le cédant était le Collège jésuite de la Villa Mondragone (Frascati, près de Rome). Comme dans les décennies et les siècles passés, et malgré les efforts d’autres brillants cryptologistes et universitaires, le livre est resté inconnu quant à sa signification.

En 1912, W. Voynich écrit « J’ai traversé une très remarquable collection de précieux manuscrits enluminés. Depuis des décennies, ces volumes ont été rangés enterrés dans des coffres dans lesquels je les ai trouvés dans un ancien château d’Europe du Sud, où la collection a été apparemment rangée par suite de discordes politiques en Europe au début du XIXe siècle.
Quand en examinant les manuscrits, dans le but d’acquérir au moins une partie de la collection, mon attention s’est portée spécialement sur un volume. Il était tel un canard boiteux comparé aux autres manuscrits, avec leurs riches décorations en or et couleurs, que mon intérêt s’est réveillé alors. J’ai trouvé qu’il était écrit entièrement chiffré. Même un nécessaire bref examen du velin sur lequel c’était écrit, la calligraphie, les dessins et les pigments m’ont suggéré comme origine la fin du XVe siècle. Les dessins indiquaient être un travail encyclopédique sur la philosophie naturelle.[…] le fait que c’était un manuscrit du XVe siècle crypté me convainquit que ce devait être un travail d’une exceptionnelle importance, et à ma connaissance, l’existence d’un manuscrit d’une date très éloignée entièrement crypté m’était inconnue, et alors je l’incluais parmi les manuscrits que j’acquis de la collection.
Deux problèmes se présentaient d’eux-mêmes : le texte devait être démélé, et l’histoire du manuscrit devait être tracée.
Peu de temps après l’avoir eu en mains, je lus sur le document la marque de la date 1665 (ou 1666) qui était attachée sur la couverture de tête. Ce document, qui est une lettre de Johannes Marcus Marci à Athanasius Kircher lui faisant cadeau du manuscrit, est d’une grande signification .
 »

W. Voynich a révélé que le manuscrit a été en possession de John Dee, savant, astrologue et magicien bien connu du XVIe siècle. John Dee était entre 1584 et 1588 à la cour de Rodolphe II de Bohême en tant qu’agent secret de la Reine d’Angleterre Elizabeth I, et il a probablement apporté le manuscrit à Prague. John Dee était un admirateur de Francis Bacon et a collectionné beaucoup de ses écrits (37 environ semble-t-il). Sir Thomas Browne, l’inventeur du mot « cryptography » affirma que le fils de John Dee, Arthur, lui a parlé d’un livre contenant rien d’autre que des hiéroglyphites.

W. Voynich voulait voir son mystérieux manuscrit déchiffré, et fournit des copies photographiques à bon nombre d’experts. Cependant, en dépit de certaines déclarations spectaculaires, aucune des solutions proposées a eu suffisamment de substance pour une complète traduction.

En 1961, le livre a été acheté par H.P. Kraus, un antiquaire new yorkais spécialisé dans les livres, pour une somme de proche de 25 000 euros. Il l’a évalué plus tard à 100 000 euros mais n’a pas trouvé d’acheteur. Il donna finalement ce manuscrit en 1969 à la prestigieuse université américaine de Yale, et est conservé depuis à la bibliothèque des livres rares « Beinecke », sous le numéro de catalogue MS 408.


DATATION DE L'ECRITURE ET CORRELATIVEMENT DU MANUSCRIT

L’intérêt de cette question est de pouvoir déterminer si une personne du XIIIe, XIVe ou du XVe siècle, érudite parce que sachant non seulement lire, mais aussi créer un système d'écriture complet et de lecture (a priori), pouvait se démarquer de manière significative de ses années d’apprentissage et de son époque. D’un bout à l’autre du manuscrit, l’écriture est cohérente, avec très peu de déformations telles qu’on peut les voir au cours d’une vie à écrire. La rigueur aurait pu rendre constante l’écriture si celle-ci s’était déroulée sur plusieurs années. Nous pensons que l’œuvre a été écrite sur une période assez courte, un ou 2 ans au plus, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y ait pas eu d'interruption dans la rédaction des 300 feuillets. L'esprit et la forme restent identiques.

La principale question de tout ceci est la datation de l'écriture. Onciale, caroline ou dérivée proche, l'écriture du manuscrit est sans doute avant le style gothique, et peu de chance qu'elle date postérieurement au XVe siècle. Il faut nécessairement prendre simultanément en compte l'écriture et les dessins, notamment dans les premières pages les nymphes (femmes nues dans des "baignoires"). Elles sont dessinées dans un style proche de ce que l'on trouvait dans les manuscrits post-romans, sans être celui de la Renaissance. Ecriture et images sont inter-dépendants et liés historiquement entre elles. Nous y reviendrons ultérieurement.

Pourrait-on raisonnablement écrire deux siècles plus tard (vers le XVIe environ) d’une écriture proche de l’onciale, de la caroline, alors que l’écriture était plus évoluée vers le style gothique puis ensuite humanistique. Ce qui prime dans ce manuscrit, pour son auteur était qu'il était davantage attaché à produire une écriture inventée plutôt qu'à reproduire une écriture ancienne ou historique. L'invention prime sur le style. Le style est un indice permettant de retracer la datation du manuscrit. La date de la première moitié du XVe siècle nous parait largement plausible et surtout cohérente.

DATATION INTERPRETATIVE DU MANUSCRIT

L’histoire du manuscrit en tant que telle n’apporterait que peu si sa signification, son sens étaient communs. Bien sûr, certains livres pouvant porter atteinte à l’ordre politique ou religieux, ont été brûlés, détruits… mais certains ont du être précieusement gardés dans des couvents, dans des cryptes, bibliothèques de châteaux et autres abris… Et l’histoire de tels livres retrace ainsi l’histoire des idées, des luttes du pouvoir à travers leurs détenteurs et leur parcours intellectuel et/ou spirituel.

Détailler l’histoire du manuscrit Voynich apporte plus qu’une simple géographie politique : elle construit partiellement sa possible signification par petites touches avec différents détenteurs qui ont écrit sur des lettres, courriers, échanges… entre eux, tant le sujet était remarquable et exceptionnel ou hors du commun.

Les commentaires de chaque époque reflètent aussi comment ce manuscrit était appréhendé et compris. Ce qui signifierait que très tôt il était considéré comme mystérieux et indéchiffrable. On aurait pu supposer que ce livre fut un parmi tout ceux écrits dans l’époque où l’alchimie et la magie étaient présentes. Chassés et brûlés par l’Eglise, les alchimistes, les magiciens… écrivaient des livres avec un code pour échapper à la lecture du commun des mortels et échappaient donc aux foudres de l’Eglise car les textes étaient cachés. Le manuscrit Voynich aurait pu alors être considéré comme un livre parmi tant d’autres qui furent cryptés. Cependant, il semble avoir été une énigme, une vraie énigme même dans une époque où ces pratiques de cryptographies littéraires étaient « fréquentes », ou la magie était un vécu quotidien (rappelons que nos esprits cartésiens et scientifiques se sont développés davantage après le Siècle des Lumières).

Entre l’histoire a priori acceptée et celle pouvant être aussi vérité, on trouve certaines lacunes, des interrogations pouvant remettre en cause toute une théorie puisque l’œuvre est historique, c’est-à-dire emprunte des idées et des mœurs d’une époque. Ce manuscrit est-il de Roger Bacon ? A-t-il été écrit en Europe centrale ? A la fin du XVe siècle, ou milieu du XVIe siècle ? Nous avons émis notre hypothèse : la moitié du XVe siècle. Il faut chercher des indices, des clefs de lecture et d'interprétation, voir chaque détail afin qu'un ou plusieurs trahissent positivement l'auteur sur l'époque où il vécut.

Par exemple, l’identification de plusieurs plantes comme étant des spécimens de ce qui était à l’époque le Nouveau Monde, et qu’aurait ramené Christophe Colomb de ses expéditions, montrerait ainsi que ce manuscrit aurait pu ne pas être écrit avant 1492. La présence d'une plante proche d'un tournesol est relativement marquante dans l'analyse des détails car cette plante est postérieure à l’arrivée de Christophe Colomb en Amérique. Il est clair que tout indice reflétant une époque est un signe fort pour attribuer à celle-ci l’œuvre présentement étudiée. A la lumière des dessins qui figurent dans ce manuscrit, on peut raisonnablement s’avancer en affirmant que simultanément textes et dessins sont hors du commun, c’est-à-dire écrits et dessinés dans d’autres référentiels que ceux du XVe siècle. Pour faire le parallèle en peinture, celui de Jérôme Bosch est temporel car nous pouvons le replacer dans son contexte historique précis, mais aussi hors du commun par les sujets peints, quasiment uniques dans l’histoire de la peinture d’avant le XVIIe siècle.

Ainsi, l’auteur du manuscrit a non seulement inventé une écriture, mais a également inventé certains motifs floraux (et aussi, nous le verrons par la suite, d’autres dessins). Et établir un lien entre des plantes inventées et celles issues de terre inconnues à l’époque est-il trop délicat. Le tournesol sur le folio XX permet-il à lui seul de dater ce manuscrit ? Sur un autre folio, une plante étrange a été dessinée. L’auteur a pu alors inventer une plante ayant presque la forme d’un tournesol. Y aurait-il alors coïncidence dans la représentation de ce que l’on croit être un tournesol et l’imaginaire floral du scripteur ?

tournesol


Nous avons étudié attentivement le possible tournesol ainsi que les autres plantes. Sur ces dernières, on trouve beaucoup trop d’étrangetés et de bizarreries pour appartenir à des plantes connues dans le monde occidental. Quant au tournesol, un regard bien aiguisé nous fait apparaître autour de la couronne du tournesol présumé certes les feuilles tombantes attachées à cette couronne, mais aussi découpées en « queue de sirène ». L’intérieur du tournesol sur ce folio est composé, non pas de graines noires ou jaunes, mais d’une sorte de 2 « boudins » feuillus. L’on nous rétorquera que ce que nous pensons être un tournesol pourrait être l’idée du tournesol, non pas une idée absolue, mais celle qui aurait être véhiculée par des marins ayant foulé les terres du nouveau monde en communiquant à leur retour les plantes qu’ils ont vues. Les trois simili-héliotropes présents sur le manuscrit sont dirigés dans des sens opposés, et la caractéristique majeure de l’héliotrope est présente dans son nom même : la plante dirige sa fleur exclusivement vers le soleil. L’auteur aurait-il pu omettre cette fonction essentielle de la fleur alors que tant de précisions sur le texte et d’autres motifs sont apportés au fil des pages ?
Nous ne ferons pas bien sûr un livre sur l’héliotrope. Mais toute piste permettant de préciser la date possible du manuscrit est très importante, dusse-t-il s’agir d’un tournesol.

Compte tenu de la multiplicité des motifs floraux et donc de plantes créées de toute pièce dans l’imaginaire de l’auteur, trouver un tournesol dessiné en tant que tournesol détonne dans l’esprit de ce manuscrit. Tout a été caché, inventé dans ce livre de la nature. Bien sûr, les représentations humaines ne sont pas déformées, et l’intention de l’auteur n’est pas alors de tout masquer. Mais créer de nouvelles formes humaines demande sûrement plus de création et d'efforts d'imagination que des motifs floraux. La ferveur religieuse où Dieu a créé les hommes à son image laisse peu de place à l’imaginaire humain et au sacré du corps, d'autant plus que l'objet du manuscrit, l'élixir de longue vie, est destiné à l'homme lui-même. L'auteur a caché le texte par une écriture inventée, dessiné des plantes (vraies ou fausses) pour montrer l'usage qu'elles en avaient dans cette recette alchimique, et dessiné également des symmboles planétaires pour conforter le rôle essentiel des astres. Aurait-il masqué ou déformé les représentations humaines sans prendre le "risque" qu'un lecteur non-initié ne comprenne pas que l'homme est au centre du contenu du manuscrit avec comme finalité visible (mais non compréhensible) l'élixir de longue vie ?

Nous pensons que la création de ce que l’on voit être proche d’un tournesol et le tournesol même serait de même nature qu’entre un signe écrit sur le manuscrit et un signe alphabétique. Il y a une déformation de la forme (légère) et du fonds (une plante jaune est le symbole du soleil, substitut adéquat du feu...). S’il y avait eu similitude entre les plantes réelles et les plantes imaginaires, il y aurait eu également similitude entre les lettres alphabétiques que nous connaissons avoir existé à l’époque et celles du manuscrit. Et alors le déchiffrement aurait déjà eu lieu. Il y a tant de suppositions, c'est vrai, mais pour approfondir le sujet, il n'y a pas d'autres choix que l'étude systématique des détails avec les hypothèses y afférentes. Ledit tournesol, objet de datation, n'est qu'une composition florale parmi des dizaines d'autres du manuscrit, tout comme on peut voir une autre fleur ressemblant à une passilflore. Même si le tournesol est intrinsèquement héliotrope, d'autres fleurs sont naturellement orientées vers le soleil. Enfin, la partie basse du tournesol, tige, racines n'est pas le reflet de la réalité. L'auteur aurait peut-être volontairement ajusté chaque dessin avec différentes plantes, rendant chacune d'elles fantastique. Son intention aurait alors été de présenter des plantes magiques plutôt qu'un tournesol. Par ce raisonnement cohérent et néanmoins visible sur chacune des pages du manuscrit, l'auteur n'a pas voulu dessiné un tournesol en tant que tel, mais une plante nouvelle. Et la quasi totalité des plantes que l'on voit sont en hauteur, certes pour bien se répartir sur les pages, mais aussi montent vers le ciel ou la lumière. Le tournesol supposé n'est donc pas un tournesol, rendant la question de la date de 1492 non pertinente.

Mais ce n’est pas la raison qui nous fait affirmer qu’aucun parallèle entre les plantes du manuscrit et celles dites exotiques car provenant des Amériques puisse être révélateur sur le plan historique. Seules les représentations humaines du manuscrit sont révélatrices de l’époque où elles ont été posées sur les feuillets, et c’est sur cette base que nous confirmerons une possible datation. Avec certitude ? Non. Avec notre certitude ? Oui, bien plus.

Avant de retracer certains traits nous confirmant que le manuscrit ait pu être rédigé au XVe siècle, nous répondrons à cette question : pourquoi les personnages (traits, dispositions, visages, …) sont davantage révélateurs d’une époque que les plantes ou les caractères inconnus que nous avons ? Cette question est importante pour valider l’époque où il a été écrit, et donc l’auteur probable.
L‘écriture peut se prêter à une forte diversité, tant sur les différents alphabets, à une époque où les voyages et expéditions se font de plus en plus présents avec des échanges de marchandises nombreux, que les polices de caractères autorisant alors des déformations significatives.

Concernant les plantes, là aussi, c’est la diversité qui l’emporte. Tant de plantes autour de nous, de toutes variétés, des petites, des plus grandes, avec des feuilles plus ou moins découpées, plus ou moins arrondies… le monde économique à partir du XIIIe siècle est plus ouvert et basé sur les échanges largement internationaux.

Mais sur la remarque que la diversité humaine est bien plus grande, même si c’est une vérité que nous admettons sans aucune autre question, nous répondons que les représentations humaines notamment celles de l’art roman (par exemple) ne s’attachent en aucune façon aux traits humains. Nous avons des être féminins ou masculins. Avec des habits de telle ou telle forme ou couleurs, mais sans aucun trait de caractère transparaissant sur les visages. Brughel, Bosch, Cranach ou Durër, après l’art roman, peignirent des personnages humains, véritablement humains, chargés d’histoire, chargés de leur histoire, de leur vie, de leur caractère...
Les personnages sur le manuscrit Voynich sont beaucoup plus dans la lignée de l’art roman, et du XVe siècle (l'art roman est bien antérieur au XVe siècle). Avec ainsi des représentations humaines sommaires, avec quelques traits, sans effet de volume ou de profondeur. Le folio 81 représentant deux cartouches contenant pour le premier 7 femmes et pour le second 6 femmes montrent 13 visages, non pas 13 variations, en une trame unique. Celle-ci montre une tentative de donner du relief sur les corps et les visages mais sans y arriver, c’est-à-dire qu’il y a une absence de profondeur. Certaines enluminures du XVe siècle présentent ce même type de visages, avec peu de trait et pour le contour des visages et pour les détails : yeux, bouche, nez.
Nous pensons, par similitude avec d’autres manuscrits, que le manuscrit Voynich date bien du XVe siècle. Même si l’on ne peut parler de progrès dans la peinture, l’on assiste plutôt à un enrichissement de la peinture, du dessin même, des expressions, de la position sur le plan, et le XVe siècle a produit des enluminures stylées bien différemment de celles du XVe. Les progrès de la peinture ne sont que des progrès dans la façon de peindre et un rendu plus proche des formes humaines (ceci naturellement en dehors des grands courants de peinture tel que l'expressionnisme, le cubisme, ...).

Pour être le plus constructif et le plus objectif possible, nous laisserons la parole à Erwin Panofsky, brillant historien d’art et de renommée mondiale, plus spécialisé dans l’art de la Renaissance (en particulier de Dürer). Il pense que la rédaction daterait des environs de 1470, et serait d’origine germanique. Il indique qu’une date possible du début du XVIe siècle ne serait pas à exclure. Mais l’absence d’influence de la Renaissance italienne porterait la date vers 1510-1520.

Un historien spécialisé en botanique, Sergio Toresella, identifie le style des motifs floraux et de l’écriture comme provenant de l’Italie du Nord, dans les années 1460. Il pense reconnaître la main d’un humaniste dans l’écriture du manuscrit.

John Mangly suggère que les feuillets datent du XVe siècle, sans donner d’origine géographique à l’auteur. C’est la troisième source indiquant que le manuscrit Voynich daterait du XVe siècle.

Un botaniste, Hug O’Neill a identifié, comme nous en avons parlé, un tournesol dans le feuillet XX, plante apparue en Europe après 1493. L’identification n’est pas certaine mais ne peut pas être cependant rejetée.

Enfin, Robert Babcock, le conservateur de la Bibliothèque Beinecke de l’Univeristé de Yale donne une date du XVIe siècle en s’appuyant sur la façon dont le papier (le velin) a été préparé. D’autres chercheurs avancent également le XVIe et le XVIIe siècle pour la rédaction du manuscrit.

Il est bien sur difficile de se forger une opinion, même avec une date possible qui serait le XVe siècle. Quant à la numérotation des pages, il y a là un consensus sur le XVIIe siècle, et serait « l’œuvre » de John Dee.

Sur le style d’écriture que nous étudierons dans un prochain chapitre, malgré certaines lettres en arabesque, les autres caractères nous semblent très proches de celles du XIIIe ou XVe. L’écriture d’un calendrier (cf annexe) conservé au Saint John’s College de Cambridge est assez proche de celle de notre manuscrit. Certains calendriers du livre « Les très riches Heures du Duc de Berry » montrent là aussi une écriture proche de l’onciale qui va vers le gothique, et certains caractères sont très voisins du manuscrit Voynich. Cela ne suffit pas naturellement à confirmer notre hypothèse.

Certains calendriers du moyen age reprennent la même structure que celle que nous avons dans les diverses représentations zodiacales du manuscrit Voynich, à savoir au centre une figure christique et sur différents cercles concentriques et quartiers, les formations célestes, ainsi que leurs appellations manuscrites. Dans le feuillet 67 du manuscrit Voynich, nous retrouvons cette même présentation avec une figuration centrale humaine mais stylisée et sur le feuillet à droite, une étoile. Dans les décennies qui suivirent le moyen age, les représentations du calendrier ont évolué.
Les avancées scientifiques du XVe siècle, les réformes du Pape Grégoire III sur le calendrier… n’ont pas pu à notre avis échapper à un esprit éclairé.

Concernant les feuillets représentant les phases lunaires ou les signes du Zodiaque c’est la figure centrale qui prime, à une époque où la révolution copernicienne n’étaient pas encore connue (même si l’église, longtemps, l’a combattue).

Là aussi, ces éléments suffisent-ils à rapprocher l’objet de notre étude à la période moyennageuse ? Même réponse que ci-dessus, mais la succession d’éléments significatifs rendent la probabilité plus grande de situer l’œuvre vers le XIV ou XVe siècle.

Avant de conclure, il nous faut laisser la parole aux sciences pures et et à la datation par radiographie. Un commentaire scientifique de décembre 1991 expose ce qui suit : « La datation au carbone 14 utilise un spectromètre de masse qui pourrait donner une date avec cependant la nécessité de détruire environ 30 mg de velin dans ce process. Ceci daterait la mort de l’animal duquel la peau a été extraite pour faire ce vélin. Ca ne donnerait cependant pas la date où l’encre a été appliquée sur le vélin. Evidemment, l’encre ne pourrait pas avoir été appliquée avant que l’animal ne livre sa peau mais l’encre pourrait (théoriquement) avoir été appliquée ensuite n’importe quand. Malheureusement, la datation par radiographie au carbone 14, étant une technique statistique, a un taux d’erreur standard qui peut varier de plus ou moins 60 ans. Parce qu’il n’y a pas de relation linaire entre les années issues du radiocarbone et celles de notre calendrier, il est nécessaire de calibrer l’age du radiocarbone pour obtenir un calendrier commun aux méthodes. La période 1600-1950 n’est pas une bonne période car la production du carbone 14 dans les couches supérieures de l’atmosphère va de pair avec la désintégration radioactive, et il y a donc un « plateau ». Ceci signifie qu’il n’est pas possible de distinguer des dates dans les quelques derniers siècles. Tout ca pour dire qu’un objet doit dater au cours de cette période.(après 1950, les rejets des bombes atomiques ont fait que les datations sont possibles). Il serait facile de déterminer si le vélin date du XVe siècle ou la période 1600-1950, mais il ne serait pas possible de savoir s’il est de 1600-1700 ou 1912. Si c’est une falsification, il est possible que le faussaire écrivit sur du vieux vélin et dans ce cas, la datation au carbone 14 ne pourrait pas dire quand il a été écrit ».
A notre connaissance, à ce jour, nul n’a accepté de faire dater le manuscrit, là où des tableaux par exemple ont été radiographiés. Même le Saint Suaire (un fragment) a été passé sous les appareils radiographiques. Les universitaires et les chercheurs autour du manuscrit comptent beaucoup plus sur ce qui est vu, et sur les détails pour se forger une opinion, avec bien sûr toutes les incertitudes possible.

En guise de conclusion sur le sujet, nous pensons que le manuscrit a été rédigé vers le XVe siècle, vraisemblablement par un esprit savant et humaniste de cette période. A vrai dire, si ce manuscrit avait été rédigé par la suite, au XVIe siècle, il n’en resterait pas moins que l’auteur était cultivé, ouvert, et connaissait les mondes alchimiques, la Kabbale, la cryptographie, l’histoire…