LA FORCE DU SECRET

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Dans son livre "Sur les épaules des géants", Umberto Eco cite en quelques lignes, sur la force du secret une synthèse où l'on comprend tout : "A la Renaissance, il sera typique de tous les textes de magie de rappeler que l'accès à la révélation advient par la syllabation de langues incompréhensibles même à celui qui les prononce, inventées ou modelées sur un hébreu d'emprunt". Il ne faut pas y avoir le sens strict d'hébreu, mais de toute écriture s'appuyer pour former une nouvelle langue inventée.


Un peu plus loin, il continue "Le vrai initié est celui qui sait que le plus puissant des secrets est un secret sans contenu, parce qu'aucun ennemi ne parviendra à le lui faire avouer, aucun fidèle ne parviendra à le lui dérober". Il tire cette phrase de son livre "Le pendule de Foucault".
Ces lignes du célèbre sémiologue reprennent en peu de mots notre idée d'origine, à savoir qu'un secret ultime n'existe que par son absence ou fondement. Mais nous avons été plus loin et affirmé que le secret devenait ultime pour avoir la protection princière, si chère à tout individu voulant assurer une naturelle sécurité personnelle, surtout en des temps où l'alchimie était condamnée par l'Eglise.

C'est un tout où l'auteur côtoie un prince, assure sa protection personnelle, a les moyens de travailler, et contrôle sur la durée sa sécurité... car la force du secret est celle du temps. On ne peut le réaliser à l'instant même... La notion de temps est fondamentale. Un secret qui existerait vraiment ne résisterait pas à la puissance princière. Un secret ultime s'enveloppe de discours, de temps, de compromis, d'attentes, de moyens, de situations particulières... faisant pour son auteur s'étendre sur des années son oeuvre fictive... face à la crédulité de son prince protecteur.


Le secret n'a pas de vie en lui, il puise sa force et dans ascension dans celui qui le croit, entendons-nous, en dehors des secrets cryptographiques qui sont de la technique pure. Secret et pouvoir ont toujours été liés, et pour l'Eglise, qu'un secret ultime puisse dépasser Dieu, cela ne passait pas. Donc l'invention d'une écriture visait un double objectif : se protéger de l'Eglise et jouer le temps vis-à-vis de son protecteur. Et ce d'autant plus que le secret évoqué au prince n'était pas un secret de bas étage, fusse-t-il politique ou militaire, mais présenté comme ultime, comme le Saint Graal, celui de la jeunesse éternelle ou de longue vie, peu importe ici le bon terme, d'autant plus que la matérialité du secret ultime est sans fondement.


Regardons du coté du prince : être l'élu d'un secret ultime pressenti, c'est être à terme tout puissant, éternel et quasiment Dieu. Qui à l'époque l'aurait refusé ? (et pas seulement à cette époque, de nos jours aussi la vie éternelle est source de mysticisme alimenté par des gens fortunés près à tout). A ce niveau là, on dépasse la notion de rêve ou d'espérance ; c'est la transcendance, le but ultime de la vie qui compte, et ainsi se donner des moyens : protéger un savant, le financer, attendre, coute que coute, la vie éternelle le nécessite ; le Saint-Graal n'est pas à la portée de tous mais vaut le coup de l'atteindre. Alors tout est important : le savant a un secret pour le prince et uniquement lui, mais il ne se révèlera qu'avec des conditions précises... d'où le manuscrit.



Le secret a ainsi de puissantes ramifications dans son étendue conceptuelle et 'matérielle' : le pouvoir, être l'unique détenteur d'une vérité, utiliser ce secret pour soi seul, et utiliser la force du secret sur un temps long, faute de quoi la fragilité s'installerait. La force du secret ne joue pas sur sa technique mais sur la crédulité et l'affectio propre à chaque personne. Le manuscrit Voynich est la transcription d'un secret ultime... qui par définition n'en contient pas en son sein mais dans sa croyance par le prince.