Le manuscrit Voynich a traversé plus de cinq siècles
d'histoires, avec une vie propre, celle de sa rédaction, celle
de son influence, de sa découverte et des tentatives de
déchiffrement. Le temps dévoilé est le fruit d'une recherche
globale et d'un recul suffisant pour lire ce manuscrit sans
l'avoir même déchiffré. Cela est un peu paradoxal, mais c'est
pourtant le cas. Les historiens des sciences, les philosophes,
les médiévistes ont été finalement plus influents,
indirectement, à l'étude du manuscrit Voynich. Ce n'est pas
tant l'écriture déchiffrée qui compte que la genèse de ce
manuscrit, son voyage en Europe et dans le temps.
Le contenu alchimique est évident et nous l'avons expliqué.
Que la description ou la recette prenne telle ou telle forme,
ou tel ou tel contenu n'est en définitive pas important car
l'on sait que l'élixir donnant la vie éternelle n'existe pas.
Le théorème de Fermat, notre image en début de livre, n'est
pas identique mais si le temps a été le même pour parvenir à
sa solution. Fermat avait écrit dans la marge qu'il avait
trouvé la solution au théorème, mais faute de place ne l'avait
pas rédigée. Il y avait une science dure, le calcul
mathématique. En alchimie par contre, dont l'ésotérisme est la
clef de rédaction, nous dirions même que tout auteur moderne
un peu créatif soit-il pourrait produire un texte à visée
alchimique sans qu'il puisse y avoir de recette concrète. Si
nous écrivons par exemple : "la mandragore, effeuillée et
puissante, sous la lumière d'un temps sidéral de la troisième
décade d'un printemps proche de l'équinoxe, par une divine
proportion céleste donnera son nectar subtil...", cela
aura-t-il plus de force et de véracité que "les racines de
l'aubépine mordorée par trois fois l'an prendront force et
vigueur dans un humus imbibé d'une eau pure décantée à l'aube
d'une journée de pleine lune donneront un nectar
subtil...". Les deux phrases sont claires,
intelligibles, alchimiques (nous ne sommes pas alchimistes
mais l'avons médiocrement imité) et pourtant, la réalité de la
lecture ne produit rien en terme d'élixir de longue vie. Quand
on sait que les vrais textes alchimiques sont absolument (et
volontairement) hermétiques, le contenu importe finalement
peu. Avec nos yeux contemporains, c'est bien l'intention qui
prime, les objectifs visés et la finalité du texte.
Qu'aurait été un texte alchimique déchiffrable ? Une
banalité, une indifférence. Un texte crypté dont on devine
l'organisation alchimique, cela devient alors un mystère, un
intérêt, une source de pouvoir. Car à l'époque, rien n'était
forcément obligé d'être expliqué (les dictionnaires et
encyclopédies sont venus bien plus tard). Les images parlaient
d'elles-mêmes, avec une histoire propre. Les plantes, les
humeurs de vie, les signes du zodiaque, la recette alchimique
elle-même suffisaient dans leur forme visuelle pour savoir ce
dont on parlait. Mais le texte englobait tout et faisait la
force du secret ultime à celui, crédule, qui y croyait.
L'alchimie de nos jours est mystérieuse, mais pas au
moyen-âge. Ce qui était mystérieux à cette époque n'était pas
un texte alchimique en tant que tel, mais un texte alchimique
dont on ne pouvait pas en lire le contenu venant renforcer la
véracité de la recette en elle-même. C'est le paradoxe : le
secret renforce alors la véracité.
Le temps dévoilé du manuscrit Voynich est celui du temps où
il s'inscrit dans sa rédaction, dans une époque et un contexte
historique. L'Europe et le monde s'ouvraient, les livres, mais
rares, voyageaient, se copiaient. Les mariages, alliances,
rapprochements des maisons princières, royales, ... portaient
aussi la richesse matérielle, et les livres circulaient.
A la mort de Rodolphe II, il est montré que sa bibliothèque a
été éparpillée aux quatre coins de l'Europe. Il n'est donc pas
étonnant qu'un monastère italien l'ait eu, l'ait reçu, l'ait
gardé dans son patrimoine.
Et c'est aussi le temps dévoilé qui a fait naître des projets
de recherche, Wilfrid Voynich, William Newbold, Mary d'Imperio
et plus récemment bien plus de monde, des passionnés plus que
des chercheurs.
Dans nos environnements techniques, technicistes,
informatisés, numérisés, il n'est pas étonnant que l'approche
du manuscrit ait été quantitative, et d'utiliser ainsi les
outils à tous niveaux, pour trouver une solution au
déchiffrement des caractères et du texte. Mais c'est le temps
qui aura raison du manuscrit, ce temps qui nécessite une
retour aux sources, d'être lu avec les yeux d'un homme du XV
ou XVIe siècle. Le temps enrichit certes, mais le temps
déforme ou dilate l'information. Nos générations à venir
auront mille fois plus d'informations sur tout... mais
l'histoire existera toujours, celle où le temps remplit son
rôle.
La longue étude sur les codes possibles au moyen-âge montrait
que la notion de secret était bien réelle. Le divin, le
mystérieux, l'alchimie, les croyances faisaient partie du
temps vécu. Le secret commençait à prendre forme en dehors des
contraintes et contingences militaires. L'alchimie pour nous
est mystérieuse, envoutante, source d'un retour aux mystères
de la vie que nous n'aurions pas exploités. Au moyen-âge, elle
était commune (même si réservée à quelques expérimentateurs).
Le secret quant à lui devenait une science, et ainsi combiné
avec un texte alchimique, le résultat était bien plus qu'un
texte caché, qu'un texte protégé, il devenait une arme de
protection, d'influence et de pouvoir.
Au-delà de cette démarche littérale et informatique combinée,
la question est de savoir si le texte est ou non chiffré.
Notre avis est qu'il ne l'est pas, qu'il s'agit d'une écriture
spontanée, maitrisée, mais totalement inventée. Le but de
cette écriture inventée était suffisant en lui-même :
faire croire à l'empereur Rodolphe le contenu d'un puissant
secret permettant une vie éternelle. Le contenu importait peu
car il était lisible : une recette complète basée sur les
plantes, les « humeurs » vitales en conjonction
optimale (le terme est trop contemporain) avec les astres.
Combinés ensemble, l'élixir serait produit. Or comme aucun
élixir de cette sorte ne peut exister, le secret doit rester
plein et entier, et ne peut être déchiffré. Imaginons qu'il le
soit. Il y aurait alors la possible réalisation de cet élixir
qui même long à produire s'agissant de l'influence des
planètes (dans le manuscrit) montrerait qu'il ne rajeunit pas.
Et son auteur serait alors poursuivi ou écarté de la cour ce
qu'il n'aurait jamais souhaité, pour des raisons évidentes.
Faire croire à Rodolphe II qu'ils étaient deux à détenir une
vérité au-dessus de Dieu suffisait. Le secret absolu faisait
gagner du temps, et n'entamait pas la confiance du souverain.
Détenir un secret au-dessus de Dieu était l'apogée d'une vie
d'empereur, car ce secret était contenu dans une recette, donc
applicable.